Post Scriptum
Texte et photographies d’André Chabot, Collection Carré Noir, Édition Galerie Koma-Mons, Belgique
Spécialiste des cimetières et de l'art funéraire.
Texte et photographies d’André Chabot, Collection Carré Noir, Édition Galerie Koma-Mons, Belgique
La collection photographique d’André Chabot (250.000 photographies) est désormais abritée par le Musée Nicéphore Niepce
Gilles Courtinat a rencontré André Chabot qui lui a montré sa chapelle au Père-Lachaise, confié des images de sa collection et accepté un savoureux et passionnant entretien.
Depuis son ouverture en 1804, le cimetière du Père-Lachaise à Paris est un endroit très fréquenté où plus de 3 millions de personnes se rendent chaque année. Touristes, promeneurs, familles en deuil se côtoient parmi les plus de 70 000 mausolées, chapelles, tombeaux et autres dernières demeures dont de nombreuses abritent des noms connus : Balzac, Champollion, Delacroix, La Fontaine, Nadar, Gerda Taro, Alain Bashung, Maria Callas, Jim Morisson, Achille Zavatta, Gertrude Stein, Yves Montand, la liste est bien trop longue pour que tous et toutes soient cité-es.
A défaut d’être remarquables de par le patronyme de leurs locataires, certains monuments se révèlent particulièrement intéressants par leur facture ou leur originalité. Citons Victor Noir et la protubérance érotique de son gisant, Fernand Arbelot tenant la tête de son épouse entre ses mains, Géricault et le bas-relief en bronze représentant son tableau le plus connu “Le radeau de la Méduse”, Jean-Joseph Carriès et son mini-mousquetaire, Georges Rodenbach surgissant de la pierre une rose entre ses doigts, le portrait en faïence colorée de Jean-Baptiste Clément auteur du “Temps des cerises” ou Léon Théry pour l’éternité au volant de son bolide.
Et moult statues, pleureuses de pierre, bustes vert de gris, personnages debout, assis, allongés et autres sculptures dont celle du sphinx ailé de la tombe d’Oscar Wilde malheureusement amputé de ses attributs génitaux par des vandales qui devaient être sérieusement coincés. Indéniablement, l’endroit est photogénique et donne lieu à une production photographique pléthorique. Cette vitrine de l’art funéraire, reflet de la condition humaine et de nos sociétés, ne pouvait qu’inspirer André Chabot, concepteur de monuments funéraires, artiste et photographe qui n’a eu de cesse, depuis des décennies, d’arpenter et photographier les cimetières du monde entier pour témoigner de l’intérêt et de la beauté de ce patrimoine universel.
Toutes les photographies sont © André Chabot
D’où vient cet intérêt pour le monumental funéraire ?
Mon grand-père maternel avait été un soldat de la guerre de 14-18 blessé à plusieurs reprises, gazé très grièvement. Je l’ai toujours connu comme un grand invalide, sa femme s’occupant de lui. En 1970 il s’est passé dans ma vie un certain nombre d’événements dramatiques bien que banals en même temps. Ma grand-mère meurt d’épuisement parce qu’elle avait fait l’infirmière toute sa vie. Et trois mois après, je perds une petite fille à la naissance. Et quelques mois après encore, mon grand-père, qui n’en pouvait plus, se pend. Donc ça fait trois événements qui me sont tombés dessus comme ça, brutalement. J’ai piqué une grosse colère parce qu’évidemment je rendais la société responsable du suicide de mon grand-père. Je faisais déjà des photos mais, jusque-là, la mort n’était pas ma thématique. Donc j’ai commencé à travailler dans les cimetières militaires où je photographiais les tombes de soldats et avec ces photos j’ai fait des installations très violemment antimilitaristes dans des musées ou des galeries.
Donc, à la suite de ces tristes événements, cela va devenir le sujet principal de votre travail jusqu’à maintenant. Vous en avez visité beaucoup ?
Je suis allé dans au moins 600 à 700 villes, ce qui veut dire peut être 2000 cimetières car il n’y en a pas forcément un seul par ville. C’est le cas notamment de Londres, Los Angeles, Milan ou New York. Généralement, je rentre dans ces endroits le plus tôt possible le matin, pour en sortir le plus tard possible le soir. Quelquefois, il faut même m’extraire parce que là, quand je suis occupé, je perds un peu la notion du temps. Quand on est passionné par ce qu’on fait, on voudrait prolonger même la nuit, ce qui m’est d’ailleurs arrivé, une ou deux fois. Donc des cimetières dans le monde entier et, évidemment, dans toute l’Europe. Récemment j’étais en Albanie après être retourné à Moscou et Ekaterinbourg. La plupart du temps, je n’y vais pas avec une thématique précise bien qu’à Ekaterinbourg, j’y sois allé pour photographier les tombes de mafieux, c’est spectaculaire avec un petit parfum de danger excitant. Il faut dire que les cimetières, c’est pas toujours de tout repos. J’ai eu pas mal d’aventures, qui auraient pu tourner très mal. Par exemple au Caire, dans la grande cité des morts, qui est énorme. C’est une espèce de zone de non-droit avec des gens qui habitent dans les tombes, où il y a des règlements de compte, de la prostitution, de la drogue et où il y a même des carcasses de voitures abandonnées. Surtout, c’est dangereux parce que les étrangers n’y sont pas tellement appréciés, d’ailleurs le guide et le chauffeur ont refusé d’y entrer et j’y suis allé seul.
Il y a des endroits dans le monde où ça ne valait pas le coup de vous rendre ?
Plus ou moins, mais ça vaut toujours le coup, il y a toujours un petit quelque chose. Même dans un petit cimetière de campagne, même s’il n’y a pas de monument ou de chapelle extraordinaires, vous avez toujours des petites originalités, des particularités, notamment les épitaphes. Ces textes parlent, racontent des histoires et non seulement elles racontent des histoires, mais elles peuvent être prétexte à raconter soi-même des histoires, à en inventer.
C’est triste un cimetière ?
Non, pas du tout ! J’ai amené pas mal de gens à découvrir cet univers et à leur montrer que c’est une forme de musée. Bien souvent, les très beaux cimetières sont des espèces de musée à ciel ouvert parce que, notamment à la fin du 19ᵉ, pour les plus riches familles, et je pense en particulier à l’Italie, construire des monuments absolument grandioses était une espèce de compétition, une rivalité au-delà de la mort. On peut dire que le cimetière, c’est le reflet de la société des vivants. Il y a là les pauvres qui sont voués à l’abandon et à l’oubli et les riches qui veulent se perpétuer. Pour qui le monument funéraire est un moyen de rester dans la mémoire, de montrer les résultats de son labeur, de sa réussite, qu’on est une lignée, une famille. On y voit parfois, pour témoigner de leur respect et de leur admiration pour l’ancêtre, des enfants ou des femmes en bronze, en pierre, qui pleurent le disparu.
Il y a une typologie des cimetières ?
Il y a de grosses différences. En Europe, il y a eu, au début du XIXᵉ siècle, une éclosion de nouveaux cimetières parce que l’existant était dans un état lamentable. A Paris, c’était dégoûtant, des espèces de charniers plus ou moins à ciel ouvert avec des problèmes comme au cimetière des Innocents où, à une certaine époque, ça s’était effondré. Donc les hygiénistes sont entrés en lice et ont dit ça suffit, il ne faut pas mélanger les morts et les vivants comme on le faisait jusque-là. Alors on a ouvert des cimetières hors les murs. Cela a été très littéraire aussi, il y a eu de grandes influences d’auteurs, notamment anglais. Prenons le Père-Lachaise. Il a été au début habité par un certain nombre de gens qui avaient les moyens, parce qu’à ce moment-là s’est créée la concession perpétuelle. Ensuite, peu à peu, la ville a gagné du terrain jusqu’à l’inclure dans son territoire.
Mais quel est le plus remarquable que vous ayez vu ?
Difficile à dire, ils ont tous leurs qualités propres, si j’ose dire. Je dis toujours que les cimetières italiens sont les plus beaux du monde et ont servi de modèle bien souvent pour d’autres réalisations, notamment en Europe, en Amérique du Nord et du Sud. Mais pour en prendre plein les yeux, il faut aller à Gênes. C’est le plus beau parce que c’est celui dans lequel il y a le plus de sculptures funéraires et de bonne facture, activité qui est en train de se perdre aujourd’hui, manifestement. Et puis aussi Milan, Turin, Rome, Florence et Bologne, j’ai des milliers de photos dans ce pays et j’ai bien l’intention d’y retourner encore.
Il y en a un où vous n’êtes pas allé et qui vous manque ?
Un en particulier, non, mais plutôt un pays. Je voudrais aller en Indonésie, mais, bien que je sois déjà allé plusieurs fois en Asie, c’est un peu compliqué à cause des conditions de voyage, des transports. Il faudrait se faire parachuter au-dessus des cimetières pour que ce soit commode. Mais non, je ne peux pas dire qu’il y ait vraiment des choses qui me manquent. L’Australie peut-être où je ne suis jamais allé, bien qu’autant que je sache, ce n’est pas très intéressant car trop récent. Les choses très étonnantes, j’en ai vraiment vues beaucoup.
Et donc vous avez réalisé votre propre monument ?
J’ai fondé avec mon épouse, une association La Mémoire Nécropolitaine qui s’occupe de la sauvegarde du patrimoine funéraire. Les cimetières, ça meurt aussi, petit à petit, ça se dégrade, c’est vandalisé. Je sais que dans mes archives photographiques, qui comptent maintenant un peu plus de 250 000 photos, essentiellement en noir et blanc, il y a des monuments qui n’existent plus déjà. Mais j’ai le témoignage de leur existence et cela peut faire partie d’un patrimoine. J’ai un projet qui est bien avancé avec un musée important pour y déposer toutes mes images qui ainsi ne seront pas perdues et pourront rester, on va dire pompeusement, dans la mémoire des hommes.
Quand je me suis intéressé au projet de mon propre monument, on pouvait encore aller de son vivant avec un préposé du Père-Lachaise qui vous baladait pour vous montrer des emplacements. Il faisait même l’article exactement comme un promoteur immobilier. « Vous avez une vue magnifique sur Paris » ou « C’est bien parce que vous seriez à côté d’une célébrité ». Au départ, je voulais faire une tombe avec une sculpture, mais je n’avais pas pensé à une chapelle. On m’a expliqué que, dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine funéraire, on pouvait racheter une tombe abandonnée en s’engageant à la restaurer. J’en ai choisi une bien placée. On a complètement démonté l’édifice pierre par pierre, qui ont été numérotées pour reconstruire après, on a refait le sol et ensuite on a pu remonter les quatre murs. Après, on y a installé une sculpture de mon appareil photo en granit noir qui pèse une tonne et que j’avais commandé en Inde. Elle a été posée sur un autel posé sur deux petits cercueils en pierre car ce sera la tombe de mon épouse et moi. Mais c’est tout à fait laïc, je suis 100% athée.
Des visiteurs y déposent déjà des boites de pellicules voire même des pellicules argentiques. Mission accomplie ?
Oui, je crois que j’ai réussi mon coup (rire). J’ai découvert ça il y a déjà quelques années, bien qu’évidemment, ça se tasse un peu parce qu’il y a de plus en plus de numérique. Il y a aussi quelqu’un qui y a posé, l’année dernière, un petit nichoir à oiseaux. Le petit oiseau va sortir ?
Propos recueillis par Gilles Courtinat
Fareins
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