Académie des beaux arts

Communication d’André Chabot à l’Académie des Beaux-Arts
Palais de l’Institut de France, Paris
« Du chapelet d’osselets au chabotocoptère »

 

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau in verso-hebdo, visuelimage.com (« l’art entrain de se faire »)

André Chabot, artiste nécropolitain

Mercredi 6 novembre à 16 h 30, André Chabot prononçait une communication à l’Institut de France, dans la grande salle de conférences, à l’invitation des très sérieux membres de l’Académie des Beaux-Arts. L’orateur, professeur de lettres honoraire, avait cultivé un style impeccable pour évoquer dans une première partie, ses photographies prises dans des cimetières du monde entier (220.000 clichés, dont une partie conservée à la BNF) à la recherche des manifestations les plus hilarantes du mauvais goût bourgeois voulant rendre hommage aux chers défunts. Chabot projetait ses photographies avec le plus grand calme dans ce cadre solennel. Pourtant c’était bien lui qui, quarante-neuf ans plus tôt, au Salon de la Jeune Peinture, se révoltait contre les Institutions en traitant le thème « Police et culture ». Comme ses camarades gauchistes, anarchistes ou libertaires (Cueco, Parré, Zeimert…) il essayait de maintenir vivant et offensif mais aussi humoristique l’esprit de mai 68 dans une France qui allait passer au pompidolisme. Il était réjouissant de constater qu’en 2019, à 78 ans, il était resté le même, évoquant le monument funéraire réalisé par son confrère Gianno Castiglioni dans le cimetière de Milan à la mémoire de Davide Campari : une Sainte Cène, pour laquelle Jésus avait le visage du marchand d’apéritif, et Judas celui d’Alessandro Martini, son principal concurrent !
 Dans une deuxième partie, André Chabot présentait son œuvre de concepteur de monuments funéraires : déjà quatre dans le seul cimetière du Père Lachaise, dont le sien propre. Chabot a acheté une chapelle de 1830, dans laquelle il a installé une reproduction géante en marbre noir de son Leica. C’est la « chapelle de la mémoire nécropolitaine » déjà inscrite dans les guides touristiques : de cette manière, l’artiste s’est assuré de son éternité. En tout cas sa biographie officielle mentionne dès à présent le lieu de son inhumation. Ce spécialiste de l’art du pince-sans-rire (son livre Érotique du cimetière a fort justement été couronné du prix de l’Humour Noir 1991) qui a aussi inventé un Jeu de necropoly (avec des cases comme par exemple « erreur de diagnostic : vous n’êtes pas mort, retournez à la case départ) propose donc ses services à qui veut être enterré sous un monument franchement non conformiste en un temps où l’écrasante majorité des tombes sont tristement choisies sur catalogue.
 Là, André Chabot, qui aime tant faire rire tout en restant imperturbable, devient vraiment sérieux. Écoutons-le : « Si le cimetière a pour fonction de retenir les morts parmi nous, de nous disculper vis-à-vis d’eux et d’achever notre travail du deuil, l’artiste constate qu’il subit aujourd’hui une triste métamorphose. Cette humanité, qui se lisait à travers les épitaphes et les sculptures et nous racontait son histoire sociale et son histoire affective, s’efface peu à peu des champs de repos. Aussi l’artiste, par ses créations, espère jouer un rôle dans le combat mené contre la désaffection et l’abandon de l’espace nécropolitain. Il s’efforce de répondre aux souhaits des familles soucieuses de symbolique, de personnalisation et d’émotion afin de conférer à la dernière demeure cet indicible et mystérieux caractère sacré qui contribue à apprivoiser la mort. » André Chabot a été longuement applaudi. Nul doute que les membres de l’Institut recourront à lui lorsqu’ils songeront à leurs funérailles..

Réalisé par Jean Leroux-Lesjardins

Le futur de notre passé

La Mémoire Nécropolitaine : quand « le futur de notre passé » s’invite au Père Lachaise

Parmi les nombreux mausolées du Père Lachaise, la Mémoire Nécropolitaine a vraiment de quoi surprendre le public, avec son gigantesque appareil photo noir qu’abrite un monument d’inspiration classique. Il y a de quoi puisque derrière cette appellation pour le moins curieuse se cache une opération artistique et sociétale d’envergure, menée par deux passionnés d’art funéraire, désireux de préserver et de transmettre les beautés d’un patrimoine de dimension internationale.

Photographier l’architecture de la mort

A l’origine de ce projet, on trouve André Chabot, photographe fasciné par l’architecture mortuaire pensée comme une expression du deuil, de la mémoire, une projection du sentiment de mort. Fort de cette lecture, Chabot a passé sa longue vie d’octogénaire à traverser les continents et les cultures afin d’immortaliser tombes, concessions, cimetières, monuments et rituels afin de garder trace pour les générations à venir de ce qu’il nomme « le futur de notre passé ».

Avec sa compagne et complice Anne Fuart, ils ont créé l’association La Mémoire Nécropolitaine dans le but d’officialiser et d’encadrer cette volonté de collecte, tout en élaborant un véritable fonds documentaire de plus de 200 000 clichés glanés de par le monde, véritables témoignages des richesses funéraires communes à l’humanité. Des publications multiples, disponibles via leur site, rendent hommage à ces trouvailles, explicitent ces merveilles.

Une chapelle comme point d’ancrage

L’aménagement de la chapelle du Père Lachaise s’inscrit dans cette logique de partage. Inaugurée en 2013, elle a pour finalité de sensibiliser le public à ce projet impressionnant et inestimable, d’une façon adaptée et originale. Car pour cela, Chabot n’a pas hésité à reprendre une concession ; cette chapelle bâtie au milieu du XIXème siècle a d’abord accueilli les restes d’Anna Marguerita Kutsch, jeune femme issue d’une famille bourgeoise originaire d’Autriche.

Les ossements ayant été retirés, le photographe a investi le mausolée aux lignes épurées et austères. Remise en état, nettoyée, la tombe, contrairement aux usages, ne comporte aucune autre inscription que le nom de l’association à son fronton … et un code QR relié au site du photographe. Cependant et comme pour faire corps avec sa vocation, Chabot a prévu d’être enterré là à sa mort ainsi que sa compagne.

Le QR Code, véritable instrument du futur dans le monde du funéraire

Une réflexion sur l’art comme dépassement de la mort

Le geste est d’une grande portée, qui rattache un homme et son œuvre jusque dans l’au-delà … tout en interpellant le passant. Symbole fort sculpté au dessus de la porte, un pélican nourrissant ses enfants rappelle que l’artiste est là pour transmettre à autrui ses observations et ses fulgurances. Quant à l’objectif de l’appareil photo, il reflète les visages tel un miroir tendu depuis l’autre rive, sorte de vanité moderne qui évoque notre fin inéluctable.

Ainsi La Mémoire Nécropolitaine vient alimenter les légendes du célèbre cimetière : déjà connu pour ses fameuses personnalités, ses monuments hors normes, son atmosphère si particulière, le Père Lachaise s’ancre ainsi dans une actualité, un mouvement artistique, il tisse une passerelle entre le passé et le présent, par l’usage du numérique, du photographique, nouvelles façons de dépasser la mort.

Crédit photo : Pariszigzag.fr