Nécropoly

RÈGLES DU JEU

I. Le nécropoly consiste en tableau de marche divisé en 31 cases représentant des monuments funéraires et des pénalités, cases sur lesquelles doit se déplacer le corbillard de chaque joueur.

II. Le but du jeu est de progresser le plus rapidement possible à l’intérieur du cimetière afin d’être le premier à atteindre le luxueux mausolée de la case 31, marque ultime de la réussite sociale et garantie, au moins provisoire, contre l’oubli.

III. Les « défunts » – le terme n’engage à rien- choisissent chacun un corbillard et lancent les dés. Celui qui obtient le nombre le plus élevé commence.

IV. Les « défunts » qui arrivent sur une case Pénalité doivent se conformer aux instructions données. Ils passent leur tour, reculent du nombre de cases indiqué etc… Certaines de ces cases leur permettent cependant quelques initiatives personnelles.

V. Pour gagner la partie et trouver le repos éternel dans la case 31, objet de tous les phantasmes et de toutes les convoitises, les dés doivent marquer le nombre exact de points permettant de s’y arrêter. S’il marque davantage de points, le « défunt » devra reculer d’autant de cases avant de jouer, à son tour, à nouveau.

VI. Les « défunts » perdants sont inhumés dans les monuments de moindre importance sur l’emplacement desquels ils se trouvaient à la fin du jeu.

NOTA BENE : Toute ressemblance avec d’autres jeux enfantins – campagnards ou urbains – serait parfaitement fortuite, le NECROPOLY relevant, lui, des territoires de l’ au-delà.

La mort d’un mannequin

En laine ou en soie, en moire ou en paillettes,
l’idole filait un mauvais coton.

Un soir de présentation, étrangement maladroite, elle déchira son habit, vaguement distraite retourna ses chaussettes, brusquement affolée laissa ses bottes dans les coulisses, laborieusement empaquetée dans la robe de mariée défaillit au bras d’un inconnu vêtu de noir, s’allongea dans la poussière de sa loge et s’endormit en Chanel de sainteté.

Ultime trucage par Madame Thanatopraxie.

On ramassa son linge, on plia ses chemises, on ne lui laissa qu’une redingote de sapin.

Défilé privé.

Christian l’orna de boucles d’oreilles extravagantes, Jean-Paul se livra à quelque facéties, Yves pleura beaucoup, Karl fit une dernière photo.

Elle devint alors « ce je ne sais quoi qui n’a point de nom en aucune langue. »

A.C.

Le dortoir des anges


La chapelle de l’ancien Séminaire de Choiseul à Tournai, dans le cadre de Lille ville européenne 2004, accueille une installation sur le thème de la mort.
André Chabot aime la vie.
Un hamac, un vêtement d’ange, un envol, l’exposition d’André Chabot tutoie l’indicible.
Des cercueils volants non identifiés, des stalles qui abritent des photographies de crânes, des hamacs berçant des anges, une vidéo projetant une suite d’images glanées dans les cimetières du monde entier : l’univers que propose André Chabot ne convoque pas la tristesse mais l’envol.
Installateur, journaliste, photographe et écrivain, André Chabot se passionne depuis longtemps pour les cités du dernier repos. Pas étonnant que ses chemins aient croisé ceux de Jacky Legge et de Xavier Deflorenne, deux responsables de la gestion du patrimoine funéraire. C’est en compagnie de ces deux-là et de Jean-Pierre Denefve (Galerie Koma, Mons) qu’il réalise l’ouvrage Cent anges passent, fraîchement édité.
“Le dortoir des anges est pour moi un lieu utopique, parce que je ne crois ni aux anges ni au paradis. Mais on peut rêver : après la mort, on se pourrait retrouver en bonne compagnie, en continuant les mêmes travaux, les mêmes passions.” Au sol, des noms balisent le chemin, comme autant de pierres blanches. Ce sont ceux de Nietzsche, Ferré, Diderot, Prévert, Sade, Diogène, Shelley, Stirner… Libres penseurs, ceux-ci ont forgé les convictions de l’artiste. C’est leur esprit qui habite chacun des hamacs, un peu de cette âme qui ne dit pas son nom.
“Je travaille pour laisser des traces, pour justifier ma présence sur terre”, confie André Chabot.
“Je voudrais partir avec quelque chose qui assouplisse cette peur terrible de la mort.” L’un des reposoirs frappe davantage le regard. C’est le lit de toile de Mathilde, une enfant mort-née. “Étonnant de penser que trente ans après l’événement on parle encore d’elle” précise l’artiste.
Posées dans les stalles de l’édifice, des diapositives présentent des sculptures cueillies dans les cimetières. Crânes posés sur la pierre, tenus dans des mains tendres ou fermes, les œuvres semblent convoquer l’au-delà de la vie. Le mystère des lieux allié à l’atmosphère grandiose de la chapelle invite à la réflexion. La géométrie des lignes se casse : la figure des cercueils se fait aérienne. Est-ce la fuite du temps qui leur donne des ailes ? “Ce paradis selon mon cœur, c’est un jardin pour l’éternité, je m’isole avec ceux que j’apprécie”, poursuit André Chabot.
“Et si les élus et les damnés n’étaient pas ceux que l’on pense ?” interroge l’artiste à travers le parcours. C’est la question tous ceux que la foi interpelle, côté pile ou côté face.
La vidéo propose les photographies de l’ouvrage qui sort de presse. Les images sont les témoins de ce qui rassemble les vivants. Toutes les patries ont leurs anges, ces impalpables messagers. La pierre ou le marbre leur donnent une silhouette, des sentiments, des gestes et des muscles. Un intéressant glossaire complète le recueil. Les lettrines ailées de Christian Rolet donnent une dimension allégorique à tant de titres, expressions ou mots qui sonnent clair comme l’azur.
Françoise Lison,
Le Courrier de L’Escaut (Belgique) le 10.03.04