Le dortoir des anges


La chapelle de l’ancien Séminaire de Choiseul à Tournai, dans le cadre de Lille ville européenne 2004, accueille une installation sur le thème de la mort.
André Chabot aime la vie.
Un hamac, un vêtement d’ange, un envol, l’exposition d’André Chabot tutoie l’indicible.
Des cercueils volants non identifiés, des stalles qui abritent des photographies de crânes, des hamacs berçant des anges, une vidéo projetant une suite d’images glanées dans les cimetières du monde entier : l’univers que propose André Chabot ne convoque pas la tristesse mais l’envol.
Installateur, journaliste, photographe et écrivain, André Chabot se passionne depuis longtemps pour les cités du dernier repos. Pas étonnant que ses chemins aient croisé ceux de Jacky Legge et de Xavier Deflorenne, deux responsables de la gestion du patrimoine funéraire. C’est en compagnie de ces deux-là et de Jean-Pierre Denefve (Galerie Koma, Mons) qu’il réalise l’ouvrage Cent anges passent, fraîchement édité.
“Le dortoir des anges est pour moi un lieu utopique, parce que je ne crois ni aux anges ni au paradis. Mais on peut rêver : après la mort, on se pourrait retrouver en bonne compagnie, en continuant les mêmes travaux, les mêmes passions.” Au sol, des noms balisent le chemin, comme autant de pierres blanches. Ce sont ceux de Nietzsche, Ferré, Diderot, Prévert, Sade, Diogène, Shelley, Stirner… Libres penseurs, ceux-ci ont forgé les convictions de l’artiste. C’est leur esprit qui habite chacun des hamacs, un peu de cette âme qui ne dit pas son nom.
“Je travaille pour laisser des traces, pour justifier ma présence sur terre”, confie André Chabot.
“Je voudrais partir avec quelque chose qui assouplisse cette peur terrible de la mort.” L’un des reposoirs frappe davantage le regard. C’est le lit de toile de Mathilde, une enfant mort-née. “Étonnant de penser que trente ans après l’événement on parle encore d’elle” précise l’artiste.
Posées dans les stalles de l’édifice, des diapositives présentent des sculptures cueillies dans les cimetières. Crânes posés sur la pierre, tenus dans des mains tendres ou fermes, les œuvres semblent convoquer l’au-delà de la vie. Le mystère des lieux allié à l’atmosphère grandiose de la chapelle invite à la réflexion. La géométrie des lignes se casse : la figure des cercueils se fait aérienne. Est-ce la fuite du temps qui leur donne des ailes ? “Ce paradis selon mon cœur, c’est un jardin pour l’éternité, je m’isole avec ceux que j’apprécie”, poursuit André Chabot.
“Et si les élus et les damnés n’étaient pas ceux que l’on pense ?” interroge l’artiste à travers le parcours. C’est la question tous ceux que la foi interpelle, côté pile ou côté face.
La vidéo propose les photographies de l’ouvrage qui sort de presse. Les images sont les témoins de ce qui rassemble les vivants. Toutes les patries ont leurs anges, ces impalpables messagers. La pierre ou le marbre leur donnent une silhouette, des sentiments, des gestes et des muscles. Un intéressant glossaire complète le recueil. Les lettrines ailées de Christian Rolet donnent une dimension allégorique à tant de titres, expressions ou mots qui sonnent clair comme l’azur.
Françoise Lison,
Le Courrier de L’Escaut (Belgique) le 10.03.04